06/05/2020
Grandeur et... déclin
L'idée de déclin fait son chemin. Elle ne date pas d'hier, mais elle est peut-être aujourd'hui plus d'actualité. Bien sûr le mot "déclin" évoque celui de l'empire romain suivi de sa chute. "Notre" déclin n'aurait cependant rien à voir avec une décadence par définition «fatale, inéluctable» et conduisant à la ruine, comme le précisait Nicolas Baverez au Point à l'occasion de la sortie de son livre La France qui tombe aux éditions Perrin en 2003 (!).
Du côté de la classe politique en place - qui entend gouverner les citoyens par une simple communication positive et par la seule gestion des aspects pratiques, utilitaires de la société -, on désigne les Français comme principaux responsables de cette situation sclérosée. Mais curieusement, le "pouvoir" décline toute responsabilité. Ce qui ne devrait pas diminuer ce «dégoût de la politique» qui ne cesse de monter.
A ce propos, Jean-Marie Rouart citait dans Adieu à la France qui s'en va (Grasset), ce passage du livre d'André Rousseaux sur Péguy, lu par De Gaulle à Claude Mauriac : «Les politiques se rattrapent, croient se rattraper en disant qu'au moins, ils sont pratiques et que nous, nous ne le sommes pas. Ici même, ils se trompent. Et ils trompent. Nous ne leur accordons même pas cela. Ce sont les mystiques qui sont même pratiques...
«... et ce sont les politiques qui ne le sont pas. C'est nous (...), qui faisons quelque chose, et c'est eux (...), qui ne font rien. C'est nous qui amassons et c'est eux qui pillent. C'est nous qui bâtissons, c'est nous qui fondons, c'est eux qui démolissent. C'est nous qui nourrissons et c'est eux qui parasitent. C'est nous qui faisons les œuvres et les hommes, les peuples et les races. Et c'est eux qui les ruinent».
Et De Gaulle d'affirmer : «Je n'ai jamais fait de politique» ; ajoutant : «Il est vrai que j'ai dû quitter le pouvoir afin précisément de continuer à n'en point faire». Voilà qui dit tout de l'homme qui se faisait une certaine idée de la France et «n'aura que sarcasmes pour les professionnels de la politique qui, comme l'écrit Péguy, "saccagent l'idéal"». La grandeur, c'est l'opposé de la faiblesse, de la petitesse, de la bassesse.
Hannah Arendt notait chez Platon, une évolution dans sa théorie politique : «dans La République, pour distinguer entre gouvernants et gouvernés, il se guide sur les rapports entre expert et profane ; dans Le Politique, il s'appuie sur la relation entre savoir et faire ; dans Les Lois, tout ce qui reste à l'homme d'Etat, tout ce qui est nécessaire au fonctionnement du domaine public, c'est l'exécution de lois inchangeables. Ce qui est surtout frappant dans cette évolution, c'est la diminution progressive des facultés qu'exige l'exercice de la politique». Une sorte de déclin.
18:07 Publié dans Déclin | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : déclin, nicolas baverez, la france qui tombe, classe politique, communication positive, gestion des aspects pratiques, pouvoir, responsabilité, dégoût de la politique, jean-marie rouart, adieu à la france qui s'en va, andré rousseaux, péguy, de gaulle, claude mauriac, mystiques, professionnels de la politique, idéal, grandeur, hannah arendt, platon, la république, le politique, les lois, diminution progressive des facultés qu'exige l'exercice de la po | Facebook |
21/11/2019
Du mensonge à la violence
Quoi de plus fragile qu'un système politique et économique fondé sur la confiance des citoyens et le moral des ménages et des chefs d'entreprise ?! Car rien de plus versatile que ce sentiment et cette disposition qui relèvent de l'état d'esprit passager. Celui-ci nécessitant continuellement d'être renouvelé par une propagande rassurante, un endoctrinement serinant toujours la même chanson : "Vous pouvez dormir tranquille".
La doctrine, l'idéologie progressistes endorment ainsi la vigilance en justifiant toute évolution, réforme ou révolution par la nécessité de tendre vers un idéal. Une société idéale en perpétuel devenir, qui recule sans cesse au fur et à mesure des avancées. Mais même si la perspective d'un "âge d'or" à venir s'estompe, il reste la conviction d'aller dans la bonne direction, d'un développement en bien. Ce qui n'est pas sans risque.
Car la certitude d'une finalité, d'une irréversibilité, peut amener à un comportement passif, résigné. Mais elle peut tout autant amener à un comportement directif voire autoritaire. D'un côté, le destin, la fatalité, le sort inéluctable ; de l'autre, le but, l'objectif, la fin en soi, irrévocable. D'un côté, accepter, supporter, subir ; de l'autre, contrôler, contraindre, dominer. De l’"Impuissance de la volonté" à la "Volonté de puissance".
Mais la volonté sans l'intelligence et l'action sans la pensée - quand le pouvoir les impose - conduisent à l'impasse. Le changement "sans raison" fait fi de la volonté générale, de l'intérêt commun. "Nécessité fait loi". La liberté est de fait abolie. Les minorités commandent à la majorité. Le contrat social est brisé. Personne ne se sent plus obligé. Le corps social se désunit. L'intérêt particulier l'emporte. L'égoïsme triomphe.
Jusqu'au réveil brutal, quand les citoyens, les salariés, les consommateurs finissent par ouvrir les yeux. Jusqu'à la crise de confiance, quand les discours lénifiants, la dissimulation, le mensonge, l'intoxication... ne suffisent plus à maintenir artificiellement le moral, la confiance dans le "système" et dans l'avenir. Jusqu'au «tournant critique», quand «le peuple a retiré son consentement aux actes de ses représentants (...)».
Car alors, conclut Hannah Arendt dans Du mensonge à la violence : «tout affaiblissement du pouvoir est une invite manifeste à la violence - ne serait-ce que du fait que les détenteurs du pouvoir, qu'il s'agisse des gouvernants ou des gouvernés, sentant que ce pouvoir est sur le point de leur échapper, éprouvent toujours les plus grandes difficultés à résister à la tentation de le remplacer par la violence». Toute ressemblance...
09:14 Publié dans Pouvoir | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : système politique et économique, confiance des citoyens, moral des ménages et des chefs d'entreprise, propagande, endoctrinement, doctrine ou idéologie progressistes, évolution, réforme, révolution, idéal, bonne direction, développement en bien, impuissance de la volonté, volonté de puissance, volonté générale, intérêt commun, nécessité fait loi, liberté, minorités, majorité, contrat social, corps social, intérêt particulier, égoïsme, crise de confiance, tournant critique, le peuple retire son consentement, hannah arendt, du mensonge à la violence, affaiblissement du pouvoir, tentation de remplacer le pouvoir par la violence | Facebook |
28/05/2019
Il y a progrès et progrès
A quelques jours du lundi de Pentecôte, alors que la question de la suppression de ce jour férié en faveur des personnes âgées n'est en fait toujours pas tranchée, il est peut-être bon de se pencher sur le passé, et de s'interroger sur la notion de progrès. Car la situation des plus dépendants et des plus démunis dans nos sociétés modernes et le discours tenu sur la réduction du temps de travail amènent naturellement à douter de notre humanité et de notre humanisme.
A part les jobards toujours prompts à s'enthousiasmer pour tout "beau geste" ou "bon mouvement", tout le monde a compris que la soudaine attention aux grands vieillards après l'hécatombe estivale de 2003, avait servi de prétexte au gouvernement d'alors pour améliorer les rentrées d'argent et la productivité du travail en France ; il est vrai bien malmenée par les 35 heures, à l'origine en partie de la désorganisation des services de santé.
Mais Huysmans ne disait-il pas que «Toutes les sociétés sont formées de jobards». Ce qui n'empêchait pas de goûter notre plaisir d'entendre nos décideurs nous inviter à plus de générosité et de désintéressement (en ces domaines en effet, ne donnent-ils pas l'exemple chaque jour !?). Au delà, qu'en est-il de la véritable bienveillance ou compassion, de la prise en considération de la personne humaine et de son épanouissement ?
L'éminente égyptologue Christiane Desroches Noblecourt affirmait ce même été 2003 dans un entretien au Figaro Magazine, que la civilisation égyptienne est la première expression de l'humanisme. «Jamais on n'y pratique de sacrifices humains (...). La tolérance envers les autres peuples est encouragée, tout comme l'amour de la famille et le respect de l'infirme (...).» Ce qui lui faisait dire que «Moralement, l'humanité n'a pas évolué depuis (...)».
Elle aurait même peut-être régressé, constate notre égyptologue, avant d'ajouter : «La grammaire des Egyptiens, c'est d'abord : "J'ai aidé la veuve, vêtu l'orphelin, nourri celui qui avait faim, donné à boire à celui qui avait soif, fait passer le fleuve à celui qui n'avait pas de barque..."». C'est donc une civilisation qui avait une sagesse et une morale. Une morale qui du reste, est pour elle à «la source du christianisme». Mais c'est une autre histoire.
Le progrès continu est un mythe, comme la croissance, ou la diminution continuelle des heures de travail. Pour cette dernière, Hannah Arendt dans Condition de l'homme moderne, parlait d'«un retour tardif à la normale». Historiens à l'appui : «au moyen âge les gens ne travaillaient guère plus de la moitié de l'année. Il y avait cent quarante et une fêtes chômées». "Mouvement en avant" n'est pas "Développement en bien". "Avancer" n'est pas "Améliorer". Il y a progrès et progrès.
11:21 Publié dans Progrès | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : progrès, lundi de pentecôte, jour férié, personnes âgées, humanisme, hécatombe estivale de 2003, huysmans, christiane desroches noblecourt, civilisation égyptienne, une sagesse et une morale, croissance, diminution des heures de travail, hannah arendt, condition de l'homme moderne | Facebook |